Pour répondre à cette question, il faut que je vous raconte un peu de mon histoire.
Lorsque j’étais enfant, je confondais les lettres, je les inversais, j’en oubliais ou j’en ajoutais. Je ne réussissais pas à mémoriser l’orthographe de certains mots pourtant simple, ni à appliquer les règles de grammaire et les temps de conjugaison. Bref ! Dès l’âge de 6 ans, j’ai été décelée comme dyslexique, il m’a fallu atteindre les 8 pour savoir lire.
Je me souviens encore du moment où on a annoncé à mes parents que j’étais différente et que je n’allais certainement pas pouvoir suivre une scolarité normale. Je me souviens de leur regard lorsqu’ils se sont tournés vers moi. J’avais 6 ans et toute ma vie a basculé, parce qu’avant cela, ils me considéraient comme une petite fille intelligente, vive, joyeuse, communicative, pleine de créativité. Mais le diagnostic était tombé et tout allait changer.
Je suis devenue le vilain petit canard de la famille, car mes cousins étaient plutôt doués. Ils avaient de bonnes notes et on parlait fréquemment de leurs exploits scolaires au cours des diners. Alors qu’on s’interrogeait à voix haute sur ce qu’on allait bien pouvoir faire de moi et sur ce qu’allait être mon avenir.
A chaque rentrée des classes, mes professeurs se passaient le mot et je me retrouvais directement au fond de la salle de façon à ne pas déranger le bon déroulement des cours. Quoi que je fasse, quoi que je dise, même si j’avais la bonne réponse on ne me donnait jamais la parole et je me retrouvais de toute façon avec de mauvaises notes. Même en mathématique, car je ne me rappelais jamais des règles, des théorèmes. Je les réinventais. Mon esprit n’arrivait pas à suivre un schéma prédéfini. Face à moi, c’était comme des multitudes de routes, de possibilités et je ne savais jamais laquelle emprunter.
Pourtant, j’étais suivie par une orthophoniste chaque mercredi durant tout le primaire, mais les choses ne s’amélioraient pas, car on ne cherchait pas à me comprendre, ni à m’aider à le faire. Il y avait quelque chose qui n’allait pas chez moi et il fallait me redresser. Du coup, mes professeurs ont voulu que je m’oriente vers la vie active dès ma rentrée en 4ème. Mais mes parents n’étaient pas d’accord, alors ils m’ont mise dans une école privée. Ils espéraient que je tienne au moins jusqu’à la 3ème.
J’ai été admise à condition que je passe une partie de l’été dans un cours spécialisé pour les enfants en difficulté. Et là, je suis tombée sur un professeur de français très particulier. Il a commencé par nous dire que les mots étaient magiques et que sa mission, c’était de nous apprendre à aimer leur magie. Alors, il nous lisait des histoires, comme ça, sans rien nous demander. Sans théorie, ni règle de grammaire à la clef. Juste pour nous faire voyager dans des mondes différents, pour nous faire vivre des émotions et les partager.
Et puis, il nous a pris un à un, afin de nous aider à dépasser nos difficultés. Pour ma part, ce que je détestais le plus au monde, c’était de lire devant la classe à haute voix. J’avais encore à fleur de peau toutes les humiliations que j’avais subies chaque fois qu’on m’obligeait à le faire, tant par les élèves que par mes différents instituteurs. Pourtant, il me demanda de choisir une histoire et de me préparer à la lire devant tout le monde. Il m’encouragea patiemment jusqu’à ce que je me sentis à peu près prête. C’était à moi de choisir le moment où j’allais le faire. Chaque jour, vers la fin des cours, il me regardait, sans rien me dire. Mais j’entendais parfaitement sa question : « Es-tu prête ? » Et moi, je m’empressais de baisser les yeux.
J’avais choisi l’histoire de « la chèvre de Monsieur Seguin », parce que mes grands-parents m’avaient offert un disque de Fernandel qui la racontait et je l’avais écouté maintes et maintes fois. Je comptais sur ma mémoire, autant que sur ma capacité à lire à haute voix.
Et puis un jour, j’ai voulu en finir avec ça et je me suis levée d’un coup pour monter sur l’estrade devant la classe. J’avais tellement le trac que j’avais des difficultés à tenir le livre dans mes mains, mais j’ai commencé à lire lentement, comme il me l’avait suggéré. Il me sourit et s’installa à ma place en plaçant ses mains sous son menton, comme pour mieux m’écouter. J’étais terrifiée et j’aurais donné n’importe quoi pour être à un autre endroit. Mais au fil des mots que je prononçais, j’ai commencé à prendre confiance. Je me suis même essayée à prendre des accents et des voix différentes, comme le faisait Fernandel dans l’enregistrement.
Je constatais que mes camarades ne riaient pas et qu’au contraire ils m’écoutaient attentivement. Alors, j’ai commencé par les regarder droit dans les yeux à chaque fin de phrase pour partager encore plus d’émotions avec eux.
Quand la cloche s’est mise à sonner. Au lieu de se lever pour quitter la classe précipitamment comme à leur habitude, ils n’ont pas bougé, tellement ils étaient absorbés par mes paroles et sont restés jusqu’à la fin…
Quand j’eu terminé tout le monde m’a applaudit. Puis ils sont partis, le professeur aussi avec un grand sourire aux lèvres, sans rien me dire. Mais ses yeux exprimaient combien il était fier de moi.
Je me suis retrouvée seule et je me suis assise par terre. Je pris conscience que quelque chose s’était passé en moi. J’avais pris du plaisir à raconter cette histoire et j’avais découvert que j’étais capable de captiver l’attention de ceux qui m’écoutaient.
D’école privée en école privée, j’ai fini par obtenir quelques diplômes. J’ai appris seule à apprendre, à m’organiser, à structurer mes pensées, à faire des fiches sur tout ce que je devais mémoriser. Et puis j’ai dévoré des livres, tout ce qui me tombait sous la main, jusqu’à un par semaine, parfois.
Aujourd’hui, je suis l’auteure de 3 livres et j’entretiens plusieurs Blogs. J’ai participé à des émissions de télé et de radio. J’ai été interviewée par des dizaines de journalistes. J’ai aussi animé des cours, des formations, des ateliers et des conférences devant des centaines de personnes.
Je me suis passionnée pour la pédagogie, pour la motivation, pour les sciences de l’esprit et pour l’art de raconter des histoires : le « voyage du héros » de J. Campbell et la méthode de scénarisation de C. Vogler. Parce que secrètement, j’avais toujours écrit des histoires dans mon journal intime, mais je n’avais jamais osé les faire lire à qui que ce soit. Il m’a fallu du temps, beaucoup de temps pour oser, justement.
Avant de faire ce que je fais aujourd’hui, j’ai suivi un parcours atypique, car je ne trouvais pas ma voie. Personne ne m’avait jamais dit que je pouvais avoir des talents, ni appris à compter sur eux pour faire quelque chose de ma vie. J’ai dû le découvrir par moi-même. Je suis passée par le milieu du cinéma et j’ai été costumière. Et puis, j’ai rencontré un ami scénariste qui m’a ouvert un monde que je ne soupçonnais pas.
Il a fallu que j’atteigne l’âge de 35 ans et que je lise un livre intitulé « le don de dyslexie » pour comprendre que si j’étais différente, je n’en étais pas moins intelligente. J’ai compris que nos différences pouvaient devenir nos forces. Que chacun est parfait tel qu’il est. Qu’il n’a pas besoin d’être changé pour se conformer à des standards. Aujourd’hui, c’est ce que j’essaie de transmettre à travers les accompagnements et les formations que je donne. Car notre mission se révèle à travers qui nous sommes réellement.
Je rêve d’un monde où chacun pourra accepter que sa différence, c’est sa force. Peu importe qui il est. Nous sommes tous uniques et c’est parfait comme ça…
Ha ! Oui, et pour ce qui concerne l’orthographe, j’utilise un petit logiciel génial : « Antidote » 😉
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